Le 24 février 2022, le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine annonçait le déclenchement d’une opération militaire spéciale en Ukraine. À la suite de cette annonce, les troupes russes se sont déployées sur le territoire ukrainien.
Cette note rédigée à la date du 10 mars 2022 donne quelques éléments de compréhension de l’importance de ce conflit pour l’Afrique ainsi que les premières pistes de travail pour les pays africains.
I – Aperçu des relations entre les pays en conflit et l’Afrique
La relation entre l’Afrique et les pays actuellement en guerre ne date pas d’aujourd’hui. Dans les années 60, de nombreux pays africains entretenaient des relations diplomatiques, économiques avec l’URSS qui comprenaient la Russie et l’Ukraine. En dépit de la fin de la Guerre froide et de l’effritement de l’URSS au début des années 1990, les relations entre l’Afrique et ces pays ont perduré. D’un côté, la Russie a hérité des prés-carrés soviétiques en Afrique en matière de coopération militaire et d’industrie lourde. De l’autre, l’Ukraine a augmenté ses échanges en produits tels que le blé, le sucre, le métal laminé ou les engrais chimiques avec les pays africains.
Relation Russie – Afrique
- Les relations entre la Russie et l’Afrique ont connu un regain de vitalité au deuxième mandat de Vladimir Poutine (2004-2008). Cette vitalité s’est traduite d’abord par une logique de « diplomatie économique » et concerne des pays (Algérie, Libye, Angola, Namibie, Guinée…) dans lesquels l’Union soviétique avait investi d’importantes ressources entre la fin des années 1950 et la Perestroïka.
- Elle s’est ensuite traduite par une forte implication sur les plans politiques et sécuritaires aux côtés de certains pays faisant face à d’importantes crises et défis politiques (Lybie, Soudan, Ethiopie, Centrafrique, etc).
- Elle a culminé en 2019 par l’organisation du sommet Russie – Afrique qui a vu les 54 pays du continent représentés, dont 45 au niveau des chefs d’État. Plus de 50 accords d’une valeur de 800 milliards de roubles (7 424 595 200,00 USD ont été signés
- En 2018, les exportations russes vers l’Afrique s’élevaient à 17,5 milliards de dollars. Les exportations de l’Afrique vers la Russie s’élevaient à 2,9 milliards de dollars. Entre 2003 et 2018, le montant total des investissements des capitaux russes investis dans les Etats africains par les grandes entreprises s’élevaient à 47 milliards de dollars.
- Les pays africains ont importé des produits agricoles d’une valeur de 4 milliards USD en 2020, provenant de Russie. Environ 90 % de ces produits étaient du blé, et 6 % de l’huile de tournesol. Les principaux pays importateurs étaient l’Égypte, qui représentait près de la moitié des importations, suivies du Soudan, du Nigeria, de la Tanzanie, de l’Algérie, du Kenya et de l’Afrique du Sud.
Relation Ukraine – Afrique
De relations économiques anciennes et importantes
- Du fait de la bonne qualité de ses terres agricoles, l’Ukraine fournit un cinquième des volumes de maïs consommés dans le monde, ainsi que 80 % de la production mondiale de tournesol. Ce dernier étant, avec le soja, l’un des principaux éléments utilisés pour l’alimentation animale.
- Les échanges entre l’Ukraine et l’Afrique s’élevaient, en 1996, à 210 millions de dollars et ont dépassé les 4 milliards de dollars en 2020. Les investissements directs ukrainiens ont atteint 810 millions de dollars en 2020.
- Kiev était un important fournisseur de l’Afrique. Notamment dans des secteurs comme ceux du blé, des équipements agricoles ou encore des produits de métallurgie…
- De nombreux pays africains entretiennent des rapports commerciaux solides avec l’Ukraine depuis les années 1960 : Maroc, Nigéria, Guinée, Mali, Angola, Ouganda…
- L’Ukraine a exporté pour 2,9 milliards de dollars de produits agricoles vers le continent africain en 2020. Environ 48 % de ces produits étaient du blé, 31 % du maïs, le reste étant constitués d’huile de tournesol, d’orge et de soja.
Une terre prisée pour les étudiants africains
- L’Ukraine est aussi une destination de choix pour les étudiants africains, surtout pour ceux désirant devenir ingénieurs ou médecins.
- Selon les autorités ukrainiennes, près de 76 000 Africains, toutes nationalités confondues mais majoritairement des étudiants, sont aujourd’hui établis en Ukraine.
- Parmi les dix premiers pays d’origine des étudiants étrangers, trois sont africains : le Maroc (8 000 étudiants), le Nigeria (4 000) et l’Égypte (3 500) font partie des rares à disposer d’une ambassade à Kiev, avec l’Afrique du Sud, l’Algérie, la Libye et le Soudan.
La Russie et l’Ukraine importent peu du continent africain
Les importations agricoles de la Russie et de l’Ukraine en provenance du continent sont marginales – seulement 1,6 milliard USD en moyenne au cours des trois dernières années. Les produits dominants sont les fruits, le tabac, le café et les boissons dans les deux pays.
II – Réaction de l’Afrique à l’invasion de l’Ukraine par la Russie
1 – Premières réactions de l’Afrique au lendemain de la déclaration de guerre ?
Pays |
Réactions |
Union Africaine |
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Afrique du Sud |
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Pays africains membres non permanents du Conseil de sécurité |
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Pays qui ont une coopération militaire étroite avec la fédération de Russie |
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Pays du Maghreb |
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2) Réactions des pays africains au moment du vote de la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur le conflit en Ukraine
Pas de front commun à l’ONU
Une résolution contre l’invasion russe a été adoptée mercredi le 2 mars avec une marge massive de 141 votes favorables sur les 193 États membres de l’Assemblée générale des Nations unies.
28 pays africains ont voté en faveur de la résolution condamnant l’invasion russe.
Quelque 17 pays africains se sont abstenus lors du vote à l’Assemblée générale de l’ONU. Il s’agit de l’Afrique du Sud, de l’Algérie, de l’Ouganda, du Burundi, du Sénégal, du Sud-Soudan, du Mali et du Mozambique. Les autres pays étaient le Soudan, la Namibie, l’Angola, le Zimbabwe, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, Madagascar, la Tanzanie et le Congo.
L’Érythrée est le seul pays africain à avoir voté contre la résolution.
8 pays africains n’ont pas voté.
II – Aperçu des impacts de la guerre en Ukraine sur l’Afrique
1 – Sur le plan humanitaire : L’urgence d’un accompagnement des africains résidant en Ukraine
Avec l’éclatement de la guerre, leur sécurité suscite de plus en plus d’inquiétudes.
Macky Sall, le président sénégalais et président en exercice de l’Union africaine (UA) et Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA, ont exprimé « leur extrême préoccupation face à la très grave et dangereuse situation créée en Ukraine » dans un communiqué conjoint, appelant « la Fédération de Russie et tout autre acteur régional ou international au respect impératif du droit international, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l’Ukraine ».
2 – Sur le plan économique
Cette guerre en Ukraine entraînera plusieurs conséquences.
1 – Montée en flèche des prix de l’énergie |
Hausse des prix du pétrole
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Hausse des prix du gaz naturel
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2 – Des prévisions de hausse des prix de certains minerais |
Evolution des prix de la bauxite et de l’or en hausse
Hausse des prix de l’or
Hausse des prix des autres minerais
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3 – Une forte hausse du prix des produits céréaliers |
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La combinaison de ces conséquences laisse peser de graves risques de déflagration sociale dans les pays africains déjà fortement éprouvés par plusieurs situations de fragilité ainsi que la pandémie de la Covid – 19.
3 – Sur le plan politique
En plus de menacer les économies africaines, la guerre en Ukraine pourrait avoir un effet dévastateur sur le plan politique et diplomatique sur certains États africains. Les gouvernements africains pourraient en effet subir des pressions diplomatiques pour prendre parti dans l’escalade de la querelle entre la Russie et les puissances occidentales.
La guerre en Ukraine va entrainer une hausse des dépenses militaires dans les pays riches en vue de leur réarmement. Ces hausses des dépenses militaires, qui interviennent après une crise Covid-19 qui a fortement pesée sur la trésorerie des états, se feront au détriment des dépenses pour s’attaquer aux défis majeurs que sont la pauvreté, les pandémies, l’éducation, les inégalités et la crise climatique.
Cette guerre entraînera enfin des conséquences potentielles et imprévisibles dans les pays en crise dans lesquels Russes et Occidentaux s’affrontent déjà tels que la République centrafricaine, le Mali, le Soudan, la Lybie, etc.
III – Les domaines d’actions urgents et prioritaires pour les Etats Africains
Les Etats Africains doivent agir au moins à trois niveaux :
Sur le plan humanitaire, il est important que l’Afrique agisse rapidement. A défaut d’adopter une stratégie continentale, les communautés régionales économiques devraient s’organiser pour :
- Mettre en place des dispositifs pour faciliter l’extraction des ressortissants africains des zones de guerre et leur retour dans leurs pays respectifs. Une mutualisation des moyens pourrait être d’une valeur ajoutée certaine.
- Activer tous les réseaux et les mécanismes diplomatiques pour un traitement équitable des ressortissants africains dans les pays européens. Veiller particulièrement à ce que ces derniers ne subissent pas des traitements discriminatoires tels que l’on a pu les observer aux frontières de certains pays à l’aube de cette guerre.
- Mettre en place des dispositifs pour assurer la continuité des formations dans d’autres pays pour les ressortissants africains dont les études sont durablement interrompues ou compromises. Une partie significative des étudiants se spécialisaient dans les métiers de l’ingénierie et de la médecine. Domaines très importants pour les pays africains.
Sur le plan économique, il est important de :
- Prendre des mesures au niveau national, régional et continental pour atténuer les effets négatifs de cette crise. Ceci suppose des concertations entre les Gouvernements et les forces vives africaines pour trouver les moyens adéquats de soutien des populations les plus vulnérables.
- S’organiser également aux niveaux national, régional et continental pour saisir les opportunités que cette situation pourrait occasionner. Des opportunités existent pour des pays de devenir des fournisseurs pour l’Europe engagée dans un processus de réduction de sa dépendance à l’égard de la Russie. Mais plus important, il est nécessaire d’accélérer la transformation structurelle des économies africaines dans le but d’assurer la souveraineté alimentaire du continent. Après la pandémie de la COVID – 19, la guerre en Ukraine est un rappel de l’urgence du développement des capacités productives africaines.
Sur le plan politique et diplomatique, les Etats africains gagneraient à :
- Se concerter pour réaffirmer leurs valeurs, leurs intérêts et présenter des positions communes dans toutes les instances internationales dans lesquelles ils seront appelés à se prononcer.
- Contribuer à l’obtention d’un cessez – le – feu et à une recherche de solutions durables qui prennent en compte les intérêts de l’ensemble des parties prenantes de système international.
- Intensifier les concertations avec leurs divers partenaires pour que les engagements pris en faveur des projets de développement et de la résolution des crises en Afrique soient maintenus voire intensifiés.
- Tirer toutes les leçons politiques et géopolitiques des conséquences de ce conflit majeur à l’est de l’Europe.
Ces trois axes de travail sont des éléments minimaux pour les Etats africains au niveau individuels et collectifs pour faire face à ce bouleversement important qui survient actuellement dans le monde.
A propos des auteurs
Cette fiche est réalisée par le Cabinet STRATEGIES basé à Douala au Cameroun. C’est un cabinet spécialisé en leadership et management qui délivre ses services aussi bien en Afrique qu’en Europe et aux Etats – Unis. Le Cabinet STRATEGIES ! accompagne aussi bien les entreprises privées que les institutions publiques nationales et internationales. Il existe depuis 27 ans et est dirigée par Kah Walla.
Sources
Liens d’articles
https://www.dw.com/fr/afrique-ong-guerre-en-ukraine/a-61101326
https://www.bbc.com/afrique/region-60699348
https://fr.obsfr.ru/analytics/notes/10953/
Liens des vidéos
En français
https://www.youtube.com/watch?v=W0t8TCCQj4M
https://www.youtube.com/watch?v=IbKGL0OGGJo
https://www.youtube.com/watch?v=6q4CuTMFijU
https://www.youtube.com/watch?v=gyQmN3BZM6E
https://www.youtube.com/watch?v=831xilKv7ds
En anglais
https://www.youtube.com/watch?v=WMrJ2fk-riM
https://www.youtube.com/watch?v=OZBj2C8DU8Y
https://www.youtube.com/watch?v=tyqFrrDamo0
https://www.youtube.com/watch?v=ZkzNYd1pdfg
https://www.youtube.com/watch?v=GQf7B5DGiJM
https://www.youtube.com/watch?v=MjcVTpvQ5MA
https://www.youtube.com/watch?v=SDKUhAlYHYw
https://www.youtube.com/watch?v=hcTqOdhMlhA
https://www.youtube.com/watch?v=wMUmjCgSfXE
- [1] Il est important de noter que le continent compte 18 pays producteurs de pétrole : Nigeria, Angola, Algérie, Lybie, Egypte, République du Congo, Guinée Equatoriale, Gabon, Ghana, Sud Soudan, Afrique du Sud, Tchad, Soudan, Cameroun, Côte d’ivoire, Tunisie, république Démocratique du Congo, Niger.
En dehors d’une douzaine de pays producteurs de pétrole, l’immense majorité des pays africains sont des importateurs nets de pétrole. La dépendance énergétique du continent est très importante.